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Interview des programmateurs du Dour Festival

Quand on doit définir Dour, les pensées fustigent dans notre tête pour en ressortir deux idées principales : c’est avant tout un festival où l’ambiance est incroyable, et avec une programmation éclectique qui nous fait rêver chaque année. À l’aube de sa 28ème édition et l’annonce d’une 9ème scène, Alex Stevens et Mathieu Fonsny, les programmateurs du festival nous ont fait le plaisir de répondre à nos questions.

SE | Dans les années 90, la programmation était très tournée variété française/ rock français, aujourd’hui le Dour Festival propose des programmations très impressionnantes, qui regroupent ce qui se fait de mieux dans la musique alternative. Comment et pourquoi ce virage dans la programmation s’est fait?

Au début, le fondateur du festival avait envie que quelque chose se fasse dans sa ville. Il voyait que plusieurs festivals en France étaient en plein essor et qu’il ne se passait pas grand-chose en Wallonie. Il n’avait pas forcément beaucoup d’expérience dans le milieu de la programmation, donc il a fait sa première affiche avec les quelques contacts qu’il avait. Et au fil du temps il a expérimenté: il a été le premier à implanter le hip-hop, les musiques électroniques, puis le reggae dans festival belge. Après 28 éditions, c’est un festival regroupant 300 groupes avec 9 scènes. Ces choix osés ont fait l’histoire du festival.

Dour a toujours suivi, les mouvements musicaux, tandis que dans les années 80, on entendait presque que du rock sur les autres événements. L’idée aussi n’était pas d’attirer que des gros noms, car ils n’étaient pas disponibles, et car il fallait trouver une alternative à ces têtes d’affiches, c’est comme ça que le festival a créé son identité. On a fait de ce handicap notre particularité. On a été les premiers à proposer plusieurs scènes, ce qui a fait hurler notre responsable de la technique à l’époque. Les équipes n’étaient pas formées à ça.

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SE | Quelle est la ligne directrice de la programmation cette année et qu’est ce qui la différencie de l’année précédente?

On repart à zéro chaque année, en septembre on à une réunion et on remet tout en question: l’implantation du site, la programmation, la gestion des espaces. On fait du découpage, on reprend des plans, et c’est seulement au bout d’un mois qu’on commence à énumérer les premiers noms.
On cherche l’équilibre entre les genres de musique, les scènes, les horaires, avant de choisir les groupes. Le premier jour, les gens sont chauds, il faut envoyer du lourd très tôt, le dimanche ils sont crevés, il faut qu’on crée des moments de répit.

SE | On remarque depuis plusieurs années l’émergence de soirées à thèmes. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche?

On se donne des thèmes et on y va à fond! Et on suit les tendances, l’année dernière on a testé Infected Mushroom, ce qui nous a amené cette année à organiser une nuit trance, peut-être que dans 2 ans il y’aura une scène réservée à ce mouvement qui s’étendra sur 4 jours. On voit comment ça se passe et on le prend en compte pour l’édition suivante. Au contraire, des genres comme la dubstep, sont moins représentés maintenant qu’il y’a quelques années, car la scène actuelle nous plaît moins.

SE | Dans le courant de l’année, vous avez demandé aux festivaliers quels étaient les 5 artistes qu’ils voulaient absolument voir à Dour cet été. Quelles conclusions en avez-vous tiré ?

On lit ce questionnaire comme on peut lire n’importe quel webzine musical, ou parler avec des gens du métier. Toutes ces données nous aident à réfléchir et à proposer la meilleure programmation possible. C’est une manière de ne pas être deux connards dans une tour d’ivoire. On n’a pas la science infuse et on est ouvert à tout ce que peuvent nous apporter les festivaliers.

SE | Du coup, quels seraient vos 5 artistes si vous aviez fait ce questionnaire ?

Ahaha, je dirais Prince, Michael Jackson, David Bowie…
En vrai il y a plein de groupes qu’on veut programmer et qui refusent, pour ensuite rejoindre notre programmation quelques années plus tard. Par exemple ça fait plus de 10 ans qu’on essaie de programmer The Prodigy et cette année ils rejoignent enfin notre programmation, tout comme Underworld ou Richie Hawtin.

SE | Chaque année vous dénichez des pépites/artistes peu connus : comment flairez-vous ces jeunes talents ?

On se nourrit de plein de choses : de nos rencontres, des magazines qu’on lit, de ce qu’on voit, on bouge et écoute beaucoup de choses. En plus des réseaux, on est des gros diggers et dès qu’on sent bien le coup on y va à fond!

SE | Il y a aussi un concours tremplin ?

Oui il y a un concours qui permet aux gagnants de se produire à Dour. Il y a eu plus de 300 participants cette année : tous les petits groupes belges tentent leur chance. On reçoit en plus 10.000 propositions par an et 100.000 mails. C’est beaucoup de données à traiter !

SE | Cette année est marquée par l’ajout d’une 9ème scène, le Cubanisto Dancing : pouvez-vous nous expliquer votre réflexion autour de cette scène ?

À la fin de l’édition 2014 de Dour, on a fait le constat que le plus petit chapiteau faisait 7500 places. C’était donc compliqué de programmer des artistes émergents et il nous manquait une salle à taille humaine. On donc ajouté Le Labo l’année dernière avec 3000 places, où on s’attachait au côté live. Cette année, on a voulu allier découverte et dj set/petits live. C’est pour ça qu’on retrouve des beatmakers comme Douchka en passant par Leon Vynehall sur une scène de 1500 places. Se développer ne veut pas forcément dire voir les choses en grand.

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SE | Sur 9ème scène on voit notamment que Salut C’est Cool, groupe fidèle du festival de Dour, ont carte blanche 3h tous les jours sur cette scène : savez-vous comment ça va se passer ?

On ne sait pas du tout. Ils viennent d’une école d’art donc ils peuvent très bien se déguiser en sapin et chanter des chants de Noël pendant 3h, comme ils peuvent diffuser un film s’ils ont envie de faire un ciné-club, ou bien lire un livre qui dure 12h en 4 fois. C’est vraiment carte blanche sur le Cubanisto mais mercredi ils jouent vraiment leur live sur la grande scène.
Ils sont français mais ils pourraient très bien être belges ! (rires)

SE | Le Dour Festival est aussi réputé pour une ambiance incroyable, une bande de pote de 250 000 personnes. Qu’est ce qui favorise cette atmosphère ?

C’est une communauté, les gens sont les mêmes, qu’ils viennent de Londres, d’Amsterdam, de Paris ou Madrid, les gens sont les mêmes personnes. Tu as besoin d’une bière ? J’en ai une en trop, je te la donne. Tu as besoin d’un ouvre boite pour ouvrir tes raviolis ? Voici ce qu’il te faut. Ça nous fait penser à un moment, quand on allait au bar, les festivaliers se bousculent pour avoir une bière puis il y a une personne qui s’est exclamé « hop-hop donnez vos tickets » puis il a tout récupéré et demander 50 bières au barman pour ensuite les distribuer. Ça résume assez bien le festival, tu sors un peu de ton quotidien, tu peux dire « bonjour » à n’importe qui et partager ce que tu veux.

SE | Pour revenir sur votre travail de programmateur, vous êtes combien sur la programmation ?

Sur la programmation globale, c’est nous deux. Parfois, on a quelques personnes-ressources qui viennent nous donner des idées parce qu’on ne sait pas être à l’affût sur tout. Mais le boulot au quotidien, comme les contacts avec les agents, les réunions avec eux c’est nous deux.

Généralement on a chacun ses affinités pour les artistes, on discute de tout, on essaie de faire des règles, mais on n’arrive pas à tout respecter (rire). Programmer ce n’est pas juste choisir ce qui fait le boom ou pas, mais c’est surtout mettre le groupe au bon endroit sur l’affiche.

Pour être sûr de mettre le bon groupe, au bon endroit, au bon moment, sur la bonne scène ce n’est pas juste aimer le morceau ou l’artiste, c’est dire OK, « Salut C’est Cool » on le met le mercredi sur la main stage car tout le monde sera présent et motivé pour bouger, puis Nils frahm qui fait du piano, les festivaliers sont fatigués et tristes que le festival se termine on le met le dimanche soir.

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SE | Ça fait longtemps que vous faites ça ?

Alex: C’est la 3ème édition que l’on fait complètement ensemble. En 2000 j’ai commencé à travailler sur le site internet du festival, je travaille à temps plein sur cet événement depuis 2005. En 2006, on s’est occupé de notre première scène avec Mathieu, et en 2014, Mathieu m’a rejoint car j’avais trop de boulot. On était dans le même collectif avant, donc on a l’habitude de partager notre bureau.

SE | Comment vous en êtes arrivé là ?

Mathieu : J’ai fait du journalisme, puis il y a 10 ans j’ai monté des soirées. Au final, c’est comme ça que j’ai forgé mon réseau et mes compétences.

Alex : J’ai commencé à faire de la radio à 13 ans avec mon émission tous les dimanche soirs. Puis à 16 ans j’ai lancé mon webzine, à 17 ans j’ai commencé à travailler pour le site internet du festival de Dour. Puis petit à petit ça s’est monté. C’est beaucoup de travail, de passion. Au final on a ça dans le sang que ce soit via la radio, le journalisme ou autre, on aime bien écouter de la musique et la partager. Pour la petite anecdote, quand j’ai fait mon premier mail en écrivant « Bonjour cher monsieur etc. » à un agent anglais, il m’a répondu en lettre capitale « FAIT UNE OFFRE » (rire). Au début je me suis dit c’est quoi ce milieu, puis avec le temps il y a des codes qu’il faut capter.

Ce métier on se l’est forgé parce qu’on est tellement impliqué dans beaucoup de choses, dans la réflexion globale du festival. Quelque part on se lève Dour et on se couche Dour.

Par Jean-Baptiste

Paris, France.

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