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SE | Pouvez vous vous présenter ?
Antonin : On a monté le label il y a un peu plus de trois ans maintenant avec une petite équipe, qui a évolué depuis.
Paul : Antonin et Romain c’était les fondateurs au tout début et moi je suis entré dans l ‘équipe un peu plus tard, au moment où le collectif est passé en label, donc il y a deux ans.
Romain : Donc moi je suis graphiste, je m’occupe essentiellement des visuels de Boussole Records.
Paul : Je suis entré il y a deux ans en tant que « community manager » pour gérer tous les aspects de la communication. En fait on a pas vraiment de statut bien établi. Toutes les décisions qu’on prend c’est toujours tous les trois, tout est bien réfléchi à trois.
SE | A quelle période avez vous décidé de créer le label ? Quels étaient vos objectifs ?
Paul : En fait, on était un groupe de potes qui étaient passionnés de musique et du coup on organisait des soirées entre nous, principalement au début donc on s’est dit : « Pourquoi pas commencer quelque chose ? », parce qu’on avait des potes qui étaient producteurs et c’était peut être le moment de les faire jouer et de faire découvrir ce qu’ils produisaient. On avait quelques exemples de collectifs toulousains, qui nous avaient un peu inspirés, donc on a commencé notre première soirée. Au début c’était en tant que collectif, on était un petit groupe d’une dizaine de personnes et petit à petit on s’est rendu compte que le fait qu’il y ait cette dynamique là, ça avait permis d’avoir plus de productions au sein du collectif. Rapidement, on a trouvé pertinent de passer en statut de label, pour justement accompagner ces artistes et proposer quelque chose qui porte à la fois, sur leurs productions, mais aussi pour avoir un accompagnement via la scène pour qu’ils puissent jouer, ainsi que s’exporter.
SE | Justement qu’elles sont les difficultés que vous avez rencontré au début pour monter votre label ? Quel est votre son statut et pensez vous que cela soit plus difficile de créer un label de « house music » ?
Antonin : On a toujours été en statut associatif et on a pas changé depuis le début. On a évolué avec des statuts d’auto-entrepreneurs, parce que ça permettait aussi d’avoir une indépendance de chacun des producteurs, par rapport au collectif mais aussi de les rendre plus autonomes. Après les difficultés…
Romain : On ne s’est jamais retrouvé avec des produits financiers ou autres. Ca a toujours un peu été du bénévolat.
Antonin : On n’est pas dans une démarche de productivité.
Paul : On a pas forcément d’objectifs, on en a mais financièrement non ! Pas d’objectifs de croissance non plus, on fait ça au jour le jour.
Antonin : Le but, c’est vraiment de donner une exposition aux artistes et de revendiquer cet esprit un peu familial, qu’on essaie de développer dans le collectif mais aussi vers le public. On fait quelque chose qui ne soit pas du tout élitiste, que ce soit musicalement et même humainement, je pense que c’est la première ambition de notre projet depuis le début.

SE | Diriez vous que Boussole Records a une identité musicale ?
Paul : Ouais ! Depuis le début, parmi tous les producteurs qui étaient dans le petit cercle, il y avait des producteurs de différents styles de musique mais il n’y a jamais eu de segmentation, on n’a pas voulu faire un label house, on n’a pas voulu brader le truc, alors évidemment, il y a des styles qu’on apprécie pas, qu’on met pas en valeur, mais on reste assez large donc on peut retrouver de la techno, de la house, de la disco. Mais c’est vrai que depuis quelques mois, on tend à se rapprocher d’un label un peu plus « house » je dirais. C’est aussi le pourquoi de la troisième compilation. C’est ce qu’on a défendu en la sortant, qu’il y ait une esthétique un peu plus club que les autres et c’est sur quoi on veut aller pour les prochains mois.
SE | Comment distribuez vous vos productions ?
Romain : Pour la plupart, c’est du digital avec les plateformes habituelles : Soundcloud, Youtube, etc. Et la seule sortie physique, c’est la compilation, qui sort aujourd’hui. Et donc tout ça, la particularité c’est que c’est gratuit. On était sur du tout gratuit au début mais on a opté pour l’option « name your prize» qui marche plutôt bien, c’est ce qui est vraiment dans l’air du temps je trouve et qui me plait beaucoup. Je pense qu’on est d’accord là-dessus. Le principe est qu’on n’est pas obligé de payer ou donner dix, vingt, trente. Chacun met ce qu’il veut, libre à l’auditeur de payer ce qu’il souhaite.
Antonin : L’idée c’était de ne pas créer un frein avec un prix fixé et justement de permettre de toucher un public qui n’est pas prêt à donner de l’argent pour consommer de la musique.
Romain : Ça permet de soutenir le projet plus qu’autre chose au final.
Antonin : C’est ça, c’est plus une marque de soutien.
SE | D’où cette proximité avec votre public ?
Antonin : Ouais complètement ! On essaie d’avoir cette cohérence là de manière globale. C’est à dire que sur les événements, on est sur des tarifs qui dépassent pas 5 euros pour ne pas créer de frein et pour faire en sorte que les gens qui ont envie de venir viennent. Qu’ils se disent pas : « On a envie de venir à cette soirée mais c’est trop cher, on passe notre tour… ». C’est un peu le moteur depuis le début.
SE | On remarque que vos productions sont très soignées, quels en sont les éléments ?
Paul : Ce que je dirais de suite, c’est qu’on a la chance, immense, d’avoir Mangabey dans le collectif qui a une formation studio, qui a le bon matos, la bonne oreille. Depuis le tout début, c’est lui qui s’occupe de tout masteriser. D’ailleurs, il se fait remarquer et approcher par des mecs, afin que José (ndlr Mangabey) traite leurs morceaux, parce qu’ils trouvent que c’est carré. On a cette grosse chance de passer par lui.
Antonin : On a été assez complémentaire en fait sur tous les profils des gens du collectif depuis le début parce que, justement, chacun avait vraiment sa particularité, que ce soit Romain sur le graphisme, José sur le son, Paul en comunication et en relations médias et tous les producteurs, qui produisent à côté et qui mixent. Ça s’est fait assez naturellement, tous les rôles étaient distribués et c’est pour ça qu’on peut mettre en commun.
SE | Pour quelles raisons avez vous privilégié la sortie d’EP ? Prévoyez-vous la sortie de LP ?
Paul : Au tout début ce n’était pas des EP, c’était des singles. On en a sorti une vingtaine et on s’en sortait plutôt bien, on s’est dit que c’était le bon format, après on s’est rendu compte avec tout le boulot que faisaient nos producteurs, qu’il y avait matière à faire des EP et du coup c’est Mangabey qui a inauguré ça. Le premier EP est sorti sur le label en janvier dernier. On y a bossé tous ensemble, ne serait-ce que le choix des tracks. Romain a réfléchi à une cover différente de ce qu’il y avait sur les singles. Par rapport aux singles, la promo se fait différemment et c’est super excitant. L’EP a plutôt bien marché et on était fier de ce qu’on avait proposé, on a eu de bons retours. Après la release de la compilation III, on compte continuer sur ce format là, à la rentrée. On commence déjà à avoir du bon matériel pour les mois de septembre et octobre. Nos potes, les producteurs, ont vachement envie de morceaux dans leurs ordinateurs et de faire voir ainsi ce qu’ils savent faire, il y aura à peu prés 3-4 EP à la rentrée.
Antonin : Pour les LP, on a pas encore suffisamment d’outils, ça représente quand même un gros travail. Pour le moment, on est plus sur des formats qui sont plus adaptés à la musique électronique et plus adaptés au numérique. Aujourd’hui, ça n’a pas trop de sens de sortir un LP en numérique et on est pas prêt à l’accompagner.
Paul : On n’a pas le poids pour soutenir un gros projet.
Antonin : On se laisse le temps, dans 1 an et demi, peut-être qu’on sortira un LP.
Paul : J’écoute beaucoup de musique électronique, mais très peu d’albums en fait et pour qu’un album entier me plaise, il faut que le projet soit vachement abouti et c’est un peu rare.
SE | Avez-vous quelques exemples ?
Paul : DK sur Antinote qui est un label parisien.
Antonin : D.KO aussi qui est un label parisien et qui sort des releases sous le même format que nous, en EP. Le dernier qui m’oriente en tous cas, c’est DK et peut-être des trucs plus mainstream aussi comme Blood Orange, Mathias Zimmermann, Marquis Hawkes et Drake.
SE | Comment vous expliqueriez qu’à Toulouse la scène house ait du mal à se faire connaître contrairement à la scène pop/rock ?
Paul : A Toulouse, j’ai souvent vu des groupes pop qui marchaient bien, je m’intéressais pas forcément aux groupes de house, peut-être qu’il n’y en avait pas ou que j’ai pas su les déceler, mais on n’avait pas l’âge aussi de s’intéresser à ça. Mais une fois entré dans le label, je m’y suis intéressé à tout ça et maintenant c’est vrai il y a beaucoup de protagonistes sur la scène toulousaine, ce dont on peut être fier
Antonin : Je pense qu’il y a eu une évolution aussi, le public est plus éduqué.
Romain : Globalement, il y a un retour à la house aussi, il y a 5-6 ans, ce n’était pas comme ça, c’était la techno, la techno. Il y en a beaucoup de ma génération qui découvre la house. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui me correspond plus en tant qu’adulte.
Antonin : Il ne faut pas considérer le moment comme quelque chose de figé, la house a eu son heure de gloire durant les années 90, qu’on a un peu redécouvert depuis 3-4 ans, c’est en train de revenir et on surfe un petit peu là dessus. Quand vous voyez les disques qu’on sortait il y a 3 ans avec ceux d’aujourd’hui, on a suivi cette évolution là.

SE | Comment vous choisissez les artistes de votre label ?
Antonin : Il faut qu’ils soient potes avec nous (rires). On est dans un fonctionnement très « crew », ce n’est pas sectaire mais plus familial et amical qu’autre chose. On va pas signer un mec juste parce qu’on kiffe sa musique, l’idée c’est vraiment d’intégrer les artistes qui signent chez nous dans notre crew.
Paul : On fait des soirées ensembles, on fait le Bikini comme ce soir, on les amène en tournée.
Antonin : Il faut qu’ils adhèrent à notre état d’esprit en fait, le collectif et le label ont été fondés sur ça depuis toujours.
Paul : On a jamais voulu changer ça, c’est sur la continuité. On fait des rencontres au fil des soirées, si on accroche bien, si on aime bien les productions qu’ils font, on discute entre nous et si les mecs sont ok, on travaille ensemble.
Romain : Pour Filibert c’est comme ça que ça s’est passé, c’était le tout début de Boussole.
Antonin : Tous les gars qui sont présents sur la compilation aujourd’hui, que ce soit Vect, Maarius etc. C’est que des mecs qui sont potes avec des producteurs du label, avec qui on a eu un bon feeling et du coup, on a décidé de travailler avec eux mais on n’est pas allé démarcher vraiment.
Paul : On est amené à faire des soirées avec eux et quand on fera des soirées à Toulouse on les invitera, pour échanger plein de trucs sur scène. Au passage, il y en a qu’on connaît bien via le net comme Maarius, c’est Khalk qui nous nous l’a présenté.
Antonin : Comme Nightdrugs.
Paul : Quand on sent que ça accroche bien donc, on leur propose de sortir des morceaux et s’ils sont ok, on les invite à Toulouse, on fait des soirées ensemble et c’est comme ça que ça marche plus ou moins.
Romain : L’idée c’est de partager.
Paul : C’est ça, on partage des sons tous les jours, on se parle tous les jours et c’est familial.

SE | Comment pensez-vous que le label va évoluer ?
Romain : On arrête l’an prochain (rire)
Paul : Déjà, au niveau des formats de release, on va reprendre les EP et peut-être abandonner le format single. Au niveau des styles, ce sera plus axé club-house que ce qu’on a pu sortir avant.
Antonin : On a aussi un peu mis de côté les soirées, qu’on organisait en centre-ville cette année. On a fait trois soirées au Bikini, qui ce sont très bien passées mais c’est vrai qu’on a un peu ce manque du public, de pas être proche du public, d’avoir un truc un peu plus intime. Donc à partir de la rentrée, on va donc repartir sur ce créneau là car c’est un truc qui nous manque. Un Bikini c’est un accomplissement pour nous tous, mais on retrouve pas la proximité avec le public comme dans les salles où tu as 4000/6000 personnes. Ça met une distance une salle comme le Bikini. Mine de rien, le dj est à 4 mètres au dessus du public, il est pas confronté à lui et on est en manque de petites salles comme « Le Cri de la Mouette »
Romain : C’est exactement ce qu’on fait cet après-midi au Bakélite (ndlr une salle associative de Toulouse) où on a organisé une Jam Session (ndlr une improvisation entre producteurs de label) de Toulouse et après ça on va au Bikini. Comme ça, ça nous permet de rencontrer des gens, ce qu’on pourrait pas faire au Bikini, discuter de la compilation, se boire un coup. C’est ce qu’il y a de bien aussi et c’est ce qu’on faisait au Dynamo tout le temps.
Antonin : Ouais, être dans une ambiance plus festive, où on ressent plus, où on transpire tous. C’est important !
SE | Allez-vous, vous ouvrir sur d’autres styles de musique ?
Antonin : Là dessus on n’est pas fermé mais c’est vrai qu’on est dans cette dynamique là pour le moment, un peu plus « house-club ».
Paul : Surtout club en fait, donc si un mec fait pas de la house mais un track qui marche à fond…
Antonin : Sur la compilation, on a signé un track de Pardon qui est du « Collectif Sympa », qui est assez inspiré grime pour le coup et on n’est pas du tout fermé à ça.
Paul : C’est ce que j’écoute beaucoup en ce moment et j’étais très heureux d’avoir ce track sur cette compilation.
Romain : On reste ouvert.
Antonin : On se revendique pas comme un label justement « monostyle », on a toujours prôné l’éclectisme.
Paul : Si on revient sur les musiques un peu plus clubs, il y aura différents styles qui vont sortir sur le label.

A lire : À la rencontre de Mangabey et Khalk
SE | Quels sont les conseils que vous donneriez à une personne voulant monter son label ? Les difficultés qu’elle pourrait rencontrer ?
Romain : Qu’elle apprenne à travailler en équipe, parce que tout seul, c’est compliqué !
Paul : La base du truc, c’est d’être bien entouré, avec des potes qui soient vraiment bien motivés, qui savent où ils veulent aller, parce que monter un label pour monter un label, il faut savoir ce qu’on veut en faire.
Antonin : Rester humble aussi par rapport à ce qu’on fait. Nous on n’a pas changé de philosophie, on a toujours bossé de la même façon.
Romain : Après les attentes, elles changent forcément.
Antonin : Oui, les attentes changent mais pas la façon de bosser. On fait les mêmes choix qu’il y a trois ans. Il faut rester fidèle à ce pourquoi tu as crée le projet et justement ne pas se dire, que parce que tu fais un Bikini, tu mets de côté toutes tes valeurs pour lesquelles tu as fait ce projet là. C’est la base de la réussite, pour que ça devienne durable.
Paul : Pour créer un label, il faut vachement s’intéresser à la musique, faire beaucoup de rencontres, et d’avoir le déclic à un moment et de se dire : « Pourquoi pas passer au niveau supérieur ? », mais pas de se dire immédiatement : « Je vais monter un label. »
Romain : Il faut être sceptique de ce que tu fais à la base et ne jamais prendre les choses comme acquises, parce que de toutes manières, c’est compliqué. Il faut se remettre en question : « Là, on a peut-être un peu déconné, là ça va pas. ». Après il faut en vouloir un petit peu, il faut vouloir faire les choses..Mais c’est vraiment du boulot !

SE | Quelques choses à ajouter avant que l’on se sépare ?
Romain : Qu’ils mettent 100 euros sur les ventes ! ( rires)
Antonin : Ouais, on n’a pas mis de prix limites ! (rires)
Paul : On se voit à la rentrée dans les clubs !
SE | Merci Boussole Records !