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Sónar 2017 : la magie du festival opère toujours

Nous nous sommes rendus à la 24e édition du légendaire festival Sónar à Barcelone et puisque nous n’aimons pas faire durer un suspens inutile, nous pouvons déjà vous affirmer que celui-ci s’est largement montré à la hauteur de sa légendaire réputation : une programmation démente, un public exubérant et une organisation sans aucune faille. Retour détaillé sur le festival qui a donné à la musique électronique, une légitimité culturelle, en la liant aux nouvelles technologies et qui depuis sa création n’a jamais cessé d’être une source d’inspiration pour tous les autres.

Le festival catalan se distingue du fait que les sessions de jour et de nuit se tiennent sur deux sites fort éloignés l’un de l’autre, mais loin de constituer un désavantage, ce changement est bénéfique, car il permet aux festivaliers de découvrir deux sites extraordinaires aux atmosphères très différentes. Le succès du festival Sónar dépend grandement de ses sites et de ses installations dont il dispose pour les festivaliers, les professionnels et les artistes depuis de nombreuses années.

Grâce au métro (L3 et ensuite L9), mais aussi aux bus mis en place par l’organisation, non seulement le transfert ne pose aucune difficulté, mais il fait partie intégrante de la fête compte tenu de l’ambiance complètement folle qu’il règne dans les transports. Le site de Fira Montjuic qui abrite le Sónar Day est un immense bâtiment renfermant lui-même plusieurs structures. Il offre la possibilité d’accueillir 5 scènes : le Sónar Village, vaste cour intérieure et ouverte sur laquelle se trouve également bars et food-trucks, le Sónar Complex, le Sónar Dôme, le Sónar Hall et Sónar XS. Les quatre dernières scènes couvertes sont fortement appréciables en temps caniculaire. Elles évoquent des salles de music-hall, en particulier le XS et le Hall avec leurs décors délicieusement kitsch et rétro. Le site de Montjuic accueille également le Sónar + D qui s’adressait davantage aux professionnels et s’étend sur quatre étages. Comme cela sera évoqué ci-dessous, le Sónar +D avec ses conférences de grandes qualités scientifiques, ses expositions et démonstrations de matériels technologiques souvent inédits signent le caractère hautement qualitatif du festival Sónar.

Quant au site de nuit, situé au Gran Fira, il évoque résolument l’esprit rave. En temps habituel, cette structure en béton de forme brute accueille les conventions internationales, ses dimensions sont si impressionnantes qu’il faut un temps d’adaptation pour repérer les quatre scènes dont il dispose (Sónar Club, Sónar Pub, Sónar Lab, Sónar Car) sans commettre une erreur de repérage.

Après cette présentation des lieux, que dire des activités proposées par Sónar +D et des prestations artistiques de l’édition Sónar 2017 ?

Le Sónar +D doit être envisagé comme un festival au sein même de Sónar même si un certain nombre de ses activités ne sont pas accessibles au public. Il se déroule dans une atmosphère détendue, mais ne vous y trompez pas, les conférenciers et les exposants accordent beaucoup de soin à leurs interventions. Nous avons particulièrement apprécié le Stage +D qui nous a offert la possibilité de rencontrer Brandon Hixon, le manager du groupe De La Soul, pour évoquer les nouveaux modes de financements des musiciens avec Molly Neuman de la société Kickstarter. Toujours sur la même scène, DJ Shadow nous a longuement parlé des nouvelles performances scéniques qu’offrait Ableton aux artistes de la musique électronique.

Enfin, comment ne pas évoquer l’incroyable passage de KiNK au +D ? Originellement, le producteur bulgare bien connu pour ses « lives » dans lesquels il utilise de curieux instruments électroniques, a fait une démonstration du séquenceur-sampleur SP-16 et du synthétiseur analogique AS-1 tous deux issus de la gamme Toraiz fraîchement lancée par Pioneer. Après une rapide prise de parole, KiNK pose ses doigts sur ses machines, très progressivement, la structure rythmique et mélodique prend forme devant un public qui comprend rapidement qu’il va assister à un set privé. Mesure par mesure, note par note, la continuité appelant à la variation, KiNK toujours aussi inspiré, nous livre une prestation qui durera une heure. Une partie du public, des professionnels pour la plupart, quitte même leur chaise pour se laisser aller à quelques mouvements et pas de danse : le stage +D s’est littéralement transformé en marmite. Moment épique lors de ce set : alors que des kicks d’une puissance phénoménale déchirent la salle, la structure métallique qui entourait l’un des néons de la salle s’est disloquée provoquant la stupéfaction des spectateurs. Imperturbable, KiNK ne s’est rendu compte de l’incident. Ce set inattendu et magistral fut pour nous l’un des temps forts de cette édition 2017.

Le Sónar +D, le MarketLab et le Realities +D ont également retenu notre attention. Tandis que le premier permettait de tester de nouveaux instruments avec les conseils des exposants, le second mettait à disposition du public des masques de réalités virtuelles derniers cris avec des thèmes divers et variés. Nous regrettons toutefois que le Realities +D, victime de son succès, ait dû instaurer un système de réservation.

Retenons aussi les conférences organisées par la Sacem au Room +D où furent abordées les questions relatives à l’évolution de la rémunération des artistes de la musique électronique, la création de projets musicaux avec notamment la présence de Dimitri Hegemann, propriétaire du club Tresor, mais aussi l’impact des nouvelles technologies dans l’élaboration de nouveaux instruments. Le Nerworking Area permettait la rencontre avec les professionnels, notamment les représentants des labels et les investisseurs. De cette manière, artistes de tout niveau ont pu prendre directement contact avec des producteurs et bénéficier de leurs conseils avisés dans une atmosphère détendue.

Le Sónar +D s’est révélé être une expérience enrichissante et pleine de belles surprises, mais qu’en est-il du Festival Sónar lui-même et de ses artistes ?

Le festival Sónar est incontestablement l’événement le plus important consacré à la musique électronique en Europe. Chaque année, il suscite l’effervescence des aficionados du genre venus du monde entier pour participer à une programmation dantesque. En effet, Sónar reste actuellement l’un des très rares festivals à accorder une large part aux artistes confidentiels, mais aux talents hors normes et à oser les programmer sur ses scènes principales, notamment le Sónar Village. Loin de suivre l’influence des médias et des réseaux sociaux, les programmateurs du festival suivent avant tout leurs inspirations et si l’on juge par les réactions du public, ils ne se trompent jamais. Cette audace dans la programmation est l’une des caractéristiques du Sónar. Contrairement aux grossiers festivals de musiques électroniques affichant un line-up exclusivement constitué d’artistes de premier plan afin d’attirer un public de masse, Sónar surprend toujours en invitant côte à côte poids lourds de la musique électronique et artistes au rayonnement médiatique bien plus modeste, mais au talent indescriptible.

Cette prise de risque assumée permet également de sortir hors des sentiers battus de la techno et de la house pour finalement autoriser l’expression de tous les courants de la musique électronique. Durant le festival, nous avons ainsi pu constater que le grime avait enfin bénéficié de l’exposition qu’il méritait avec des artistes comme Stooki Sound, Nadia Rose ou même du collectif TQD (Royal T, DJ Q et Flava D), ce dernier n’hésitant à mixer jungle, garage, drum and bass et grime comme seuls les Britanniques savent le faire.

Quant aux producteurs, djs et artistes qui sont conviés à se produire au festival, ils conçoivent cet événement comme le point d’orgue de l’année, pour cette raison, ils y consacrent une préparation toute particulière. Ainsi, pour avoir assisté à quelques jours d’intervalles à la performance de Nicoals Jaar au Bikini (la célèbre salle de concert toulousaine) et à celle du festival, nous pouvons vous assurer qu’elles furent très différentes : pour le Sónar, le producteur américano-chilien a un peu laissé de côté la sensibilité de son univers artistique pour laisser place à un set tout en puissance après une introduction transcendantale qui a duré environ 20 minutes. Même observation pour Vitalic où les remixes de ses anciens tracks étaient bien plus travaillés et percutants.

Comme cela était prévu, compte tenu du nombre vertigineux d’artistes présents au Sónar, nous n’avons pu assister à tous les sets, à chaque instant, choisir une scène s’est révélée être un insupportable dilemme. Au Sónar Village, Lena Wilikens a livré un splendide set aux beats bien sombres qui convenaient parfaitement à la canicule écrasante du vendredi 16 juin tandis qu’à la même tranche horaire, Lamusa optait au Sónar Dome pour une playlist pleine d’énergie et de sensualité qui a renversé le public. Jacques a encore montré ses talents hors du commun de musiciens, mais aussi son côté « show man ». Terminant son spectacle par son énigmatique leitmotiv traduit en castillan « todo es magico », l’auditoire est effectivement reparti enchanté. Marie Dadvidson, nous a envoûté avec ses productions new wave dark et minimalistes. N’hésitant pas à abandonner ses consoles pour défier le public d’un regard impassible en se plaçant au-devant de la scène, elle nous a montré qu’elle avait un goût prononcé pour le spectacle et l’interaction avec les spectateurs.

Gros coup de cœur également pour le b2b de Star Eyez et Jubilee. Les Américaines ont offert depuis le Sónar Dome, un set corrosif où elles mixèrent adroitement titres de trap et grimes sur des tempo techno ; moment d’anthologie que fut le remix de Sir Spyro et son phénoménal « topper top » sur un bpm complètement fou. Enfin que dire du show d’Anderson Paak & the Free National dans lequel la star américaine a prouvé que ses talents de batteurs n’avaient rien a envié à son flow rappé/chanté qui a fait toute sa réputation ? Du duo Justice qui nous a encore prouvé que malgré leurs derniers albums trop édulcorés « pop » pour être appréciés des supposés « puristes », leur live demeurait parmi les plus dévastateurs de la scène électronique ? De la poésie qui s’émanait du concert de la formation Versus Synthesizer Ensemble de Carl Graig ? Des sets sans concession de Clara 3000 et d’Avalon Emerson & Coutesy ? Des performances hallucinantes de Masters at Work et du b2b de Seth Troxler et Tiga qui ont mixé durant près de 6 heures au Sónar Car ? Enfin, que penser du bouleversant mix soulful de The Black Madonna tant on aurait aimé qu’il dure pour l’éternité ?

Alors que le festival devait s’achever à 7h du matin, les festivaliers étaient toujours aussi nombreux à danser à 7h40 devant la scène du Sónar Pub et nul n’avait envie de partir. C’est pourtant à cet instant précis que nous avons décidé de quitter les lieux, non parce que nous étions fatigués, mais pour ne pas avoir à ressentir la tristesse d’assister à l’achèvement d’un spectacle d’une beauté rare et de garder en souvenir tous ces sourires illuminés par les premiers rayons de soleil.

Dans une société marquée par un consumérisme aussi vulgaire qu’outrancier, tout ce qui dure a tendance à lasser, mais Sónar échappe à la règle. Chaque année, le festival renouvelle le miracle d’une alchimie rare entre artistes prodigieux, cadre idéal et organisation parfaite.

Outre ces éléments, il nous semble pourtant évident que le principal facteur de réussite du Sónar reste les festivaliers eux-mêmes : Des looks improbables, une ambiance à la fois survoltée et bon enfant, la présence de diverses communautés qui se côtoient sans préjugés à n’en pas douter, plus qu’un festival, Sónar est une expérience unique que doit vivre tout amateur de musiques électroniques. Nous ne pouvons que féliciter les organisateurs qui, au gré des bouleversements qui ont marqué nos sociétés durant ces vingt dernières années, ont su conserver les idéaux pour lesquels ce festival unique fut créé : longue vie à Sónar.

Par Christophe

Toulouse, France.

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