Catégories
Interviews

Rinse a soufflé sa 4e bougie : rencontre avec son co-fondateur

Rinse France vient récemment de fêter ses 4 ans le 16 Février dernier à la Machine, l’occasion pour la rédaction de revenir sur son parcours tout en évoquant des points précis comme son mode de fonctionnement, sa politique de diffusion ou la place qu’elle prétend aujourd’hui dans l’organisation d’événements.

Subdivision française de sa grande et prestigieuse sœur établie au Royaume-Uni depuis 24 ans, Rinse France s’est rapidement imposée comme un acteur majeur dans la diffusion de la musique électronique. Cette place acquise grâce à un travail de fond réalisé par Manaré, Laurent et toute l’équipe, a permis à un nombre considérable de djs et producteurs de pouvoir exprimer leur talent pour le bénéfice des auditeurs qui ont continuellement accès à des sets de grande qualité. En outre, bien que notre interlocuteur avec lequel nous avons effectué l’entretien s’en défende, Rinse France est devenu une référence pour tous les amateurs de musiques électroniques ; y réaliser un mix constitue une forme de reconnaissance pour tout individu consacrant une partie plus ou moins importante de sa vie à cette culture, quelle que soit la notoriété à laquelle il prétend.

Pourtant, les obstacles furent nombreux à l’établissement de ce succès. Soumises à un cadre juridique plus souple, les webradios subissent les assauts des radios « classiques » appartenant à de puissants conglomérats médiatiques ; fragilisées sur le plan économique par un faible sponsoring qui caractérisent les médias numériques, les webradios ne génèrent que peu de revenus par ce biais et doivent trouver des solutions alternatives pour fonctionner. Loin d’être les eldorados que l’on imaginaient au début de leur création, de très nombreuses radios numériques ont dû cesser leur diffusion faute de moyens. Comme nous le verrons au cours de cet entretien, Rinse France a su échapper aux difficultés citées ci-dessus. Longtemps dépendante de la maison-mère, elle assure désormais son propre fonctionnement grâce à un business plan original qui lui permet de se développer tout en défendant ses valeurs et ravir ainsi ses auditeurs.

LOFI | Vous venez de fêter vos 4 ans à la Machine, quel bilan tirez-vous durant ces années ?

On est assez content puisque les choses évoluent positivement sur pas mal de choses différentes, on se rend compte qu’il y a plus de gens qui nous soutiennent, qui nous suivent, tant de la part du public que des artistes, des labels, des professionnels du milieu musical etc. Parfois, il y a des hauts et des bas comme partout mais depuis le début de l’année, tout se passe vraiment bien, on a énormément de travail, l’équipe grossit petit à petit, tout le monde est de plus en plus efficace dans ses taches. Évidemment, on est loin d’être parfait dans notre boulot, il reste encore beaucoup de choses à faire mais dans l’ensemble, le bilan de ces 4 ans est assez cool.

LOFI | Quand tu parlais des choses à améliorer, quelle seraient elles ?

C’est un peu de tout, à la base Manaré et moi, nous ne venons pas du milieu de la radio, aucun de nous deux n’a entrepris de longues études supérieures voire pas du tout, on est des autodidactes. De ce fait, même si on avait le soutien de la maison-mère en Angleterre, qui nous a appris les manières de travailler, de développer le projet. On a quand même surtout appris par nous-même, du coup, il y a tout le temps des choses à rectifier, à améliorer. De plus, Rinse est une petite structure, pour une radio, 4 ans, c’est rien du tout donc on a encore une grosse marge d’amélioration. Parfois, nous pourrions rendre des projets un peu plus rapidement, être plus carrés sur certaines choses mais c’est pas inné, on apprend de nos erreurs.

Crédit photo: Tristan Popescu

LOFI | Les web radios sont très critiquées par le radios traditionnelles, notamment parce qu’elles ne respectaient pas la loi des quotas qui imposent la diffusion d’un certain nombre de chansons en français, quelle position as-tu sur cette question ?

Pour nous, c’est un peu hors cadre car dans l’absolu, même si on défend pas que cela, il y a beaucoup de musiques électroniques à la radio et on met énormément en avant la scène française, les labels français, les producteurs de musiques français. C’est pas vraiment de la chanson française ou francophone à proprement parler mais Rinse France promeut tout un pan de la musique française qui mérite d’être mis en avant et qui ne l’est pas dans les radios traditionnelles donc je me sens pas directement concerné par cela dans la mesure où notre programmation n’est pas basée sur de la chanson, il y en a un peu mais c’est pas notre cible.

LOFI | Lorsqu’on consulte votre site, la première chose que l’on constate est que Rinse France a très peu de sponsors, de quelle manière parvenez-vous à financer votre association  ?

C’est particulier car durant ces trois dernières années nous étions en grande partie financés par l’Angleterre mais très vite, on a développé des partenariats assez variés, avec différentes marques pour réaliser différents projets. Globalement, en parallèle de l’activité « radio associative », on développe une partie « agence » où l’on met en relation des marques avec des artistes qui peuvent ainsi cibler un public et se développer. Cela peut aller à l’élaboration d’une playlist à la promotion d’un événement, quitte à délocaliser la radio dans des showrooms. Pendant un certain temps, nous avions aussi un partenariat financier avec DailyMotion. On crée du contenu, des choses particulières et précises sur lesquelles nous sommes bien placés car au centre d’une communauté assez vaste d’artistes et de créatifs donc pour une marque, c’est un peu comme de s’adresser à une agence. Ensuite, il y aussi les partenariats avec les festivals, nous faisons la couverture et ,en amont, la promotion pour ces événements mais nous essayons de faire tout cela différemment d’un simple relais média. On élabore des contenus assez originaux et met en avant des projets artistiques. Notre équipe réalise des interviews, organise des dj sets exclusifs, des reports mais nous ne tombons jamais dans la facilité pour éviter d’être redondants. On fait le maximum pour être originaux et c’est pour cette raison que les festivals veulent nous avoir comme partenaire. Cela aussi constitue nos revenus car c’est un aspect que l’on essaie de valoriser. Enfin, il y a la production de nos événements, pour l’instant nous n’en faisons pas beaucoup mais c’est un secteur sur lequel nous souhaitons progresser à terme.

Crédit photo: Tristan Popescu

LOFI | Étant donné que Rinse France est devenu une sorte de référence en matière de diffusion de musiques électroniques, n’avez-vous pas peur de devenir un « prédicateur de normes » et ressembler ainsi à ceux que vous combattez ?

Il y a toujours un risque mais c’est vrai qu’on s’est jamais posé la question pour la simple raison que nous ne considérons pas encore comme une référence. Je pense que si on continue à travailler de manière intelligente, en se posant les bonnes questions, en renouvelant les artistes qui sont sur la radio et en questionnant sans cesse notre propre approche ainsi que ce que l’on défend, cela peut permettre la mise en avant de certains artistes et courants qui ne l’auraient pas été ailleurs. Après, il est évident qu’il y a toujours ce risque d’être victime de son propre succès mais je pense qu’on en est loin quand même.

Rinse durant ses rencontres.

LOFI | Exact, cependant même si on renouvelle les artistes, le risque d’encourager certaines tendances demeure.

C’est vrai mais d’une façon ou d’une autre, c’est toujours un peu obligatoire que l’on favorise certains mouvements plus que d’autres même si cela n’est pas toujours conscient. Malgré tout, on reste assez ouvert, on a une certaine approche de la musique et aussi large qu’elle soit, elle peut ne pas plaire à tout le monde. C’est une problématique qui est difficile à combattre; au final cela revient à se battre contre son propre reflet dans un miroir mais encore une fois, on se questionne en permanence sur nous-même pour ne pas tomber dans ce piège tout en sachant pertinemment qu’on ne peut faire l’unanimité. J’estime toutefois que l’on fait notre travail correctement.

LOFI | La comparaison avec la Radio Nova et son rôle qu’elle a eut dans le passé pour les musiques urbaines, cela vous flatte ou est-ce que cela vous dérange ?

Évidemment que cela nous flatte parce qu’ils ont été les pionniers de tout ce qu’on défend à l’heure actuelle, même si leur ligne éditoriale a changé au fil du temps. Nova reste un symbole fort en France pour tous les amateurs de musique donc c’est sûr que la comparaison reste flatteuse, elle est même un peu trop à mon avis car Rinse France a encore beaucoup de chemin à faire et plein de choses à développer avant d’être considéré sur un pied d’égalité avec Nova. De plus, il faut tenir compte de l’époque aussi. Quand Nova a démarré, ces musiques étaient beaucoup plus confidentielles qu’elles ne le sont aujourd’hui et beaucoup moins démocratisées. De nos jours, on connaît tous autour de nous des gens qui s’intéressent à la musique électronique, au deejaying. Cc’est beaucoup plus présent dans tous les cercles alors que pendant longtemps, c’était très « niche ».

LOFI | Les radios locales musicales ont un rôle important dans la diffusion de dj set, pendant longtemps cela a été leur apanage. Ne penses-tu pas qu’à terme Rinse pourrait représenter une concurrence pour certaines d’entre-elles ?

Pas vraiment, tout dépend du positionnement de ces radios. Parfois on est un peu sur la même approche mais aucune n’a cependant une ligne directrice qui est exactement la même. Je pense au contraire qu’on est plus dans un lien de complémentarité que de concurrence. De plus, il peut y avoir un effet motivant dans la mesure où les radios vont regarder ce que font les autres pour se situer sans forcément chercher à se copier, juste voir la manière de présenter les choses ou essayer de s’améliorer. Si concurrence il y a, elle est plus positive que négative mais je pense vraiment qu’il y complémentarité.

L’interface de la webradio de Rinse France.

LOFI | On a tendance à opposer l’univers du numérique, dont Rinse fait partie, avec la matérialité et spectacle vivant . Or, on observe plutôt que, loin de s’affronter, ces univers s’alimentent. Par exemple, Rinse est une web radio mais vous investissez une part de votre énergie dans les tournées, comment vous situez-vous par rapport à cette problématique ?

Pour l’idée de base, qui concerne la complémentarité de ces univers, je considère que cela est clairement le cas. Les gens qui écoutent la musique sur internet, qui cherchent à découvrir de nouvelles choses, de nouveaux labels, de nouveaux médias comme le nôtre sont de nature curieuse. Cependant, écouter la musique seul ,chez soi, n’est pas suffisant. Au bout d’un moment tu as envie d’aller écouter des djs, de voir des live , des concerts etc…Les deux univers sont intimement liés. En ce qui nous concerne plus directement, on a vraiment envie de faire beaucoup plus, nos moyens sont encore limités ainsi que notre influence ; même si la radio se développe correctement, c’est encore les prémisses de ce que nous aimerions faire et clairement, oui, l’idée est de faire en sorte que Rinse France ne soit pas un autre phénomène parisien de plus. Même si on est basé à Paris, l’idée est de collaborer avec divers acteurs locaux en France et il y en a de plus en plus, c’est très important de le souligner.

LOFI | Comment vois-tu l’avenir de Rinse ? Après le Royaume-Uni et la France, penses-tu que la radio puisse se développer dans d’autres pays ?

En tant que Rinse France, il y a tellement de choses à faire, de chemin à parcourir qu’il est difficile de pointer du doigt le secteur que nous aimerions développer en priorité. Dans l’absolu, nous travaillons dur pour avoir plus de poids médiatique et donner ainsi plus d’importance aux choses que l’on défend, aux artistes, aux labels que l’on diffuse. Être plus présent en France, cela fait partie des objectifs parmi les plus importants. Pour tout ce qui est des antennes en dehors de la France et de l’Angleterre, c’est quelque chose qui peut arriver à terme mais pas l’immédiat car Rinse France reste encore un grand chantier, on manque de stabilité sur certaines choses, nous devons améliorer des tas d’aspects. Du côté anglais, ils sont maintenant bien implantés mais de nouveaux challenges voient le jour car le milieu est très changeant, or, Outre-Manche, Rinse existe depuis 24 ans. Ils ont énormément de concurrents, plus qu’en France, avec des lignes éditoriales assez proches mais à l’avenir, Rinse pourrait clairement voir le jour ailleurs.

LOFI | Merci à Rinse France

Par Christophe

Toulouse, France.

Laisser un commentaire