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Tête-à-tête avec l’ambassadeur de la techno nippone : Ken Ishii

Lors de son passage à Nancy, Ken Ishii, le pionnier de la techno japonaise, a accordé un peu de son temps pour répondre aux questions de LOFI. 

LOFI | Quand fut ton premier contact avec la musique ? As-tu rencontré le monde de la musique par hasard ou baignais-tu dedans dans ton enfance ?

Quand j’étais petit, j’étais juste un enfant normal. Je regardais la télévision comme tous les autres enfants. C’est quand j’ai entendu pour la première fois le groupe japonais Yellow Magic Orchestra, quand j’avais environ 10 ans, que j’ai pensé qu’il y avait quelque chose de différent dans cette musique. C’était vraiment quelque chose que j’avais envie d’entendre. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé à la musique, dans les années 80.

https://www.youtube.com/watch?v=BEjLp6LEqgs

LOFI | Pourquoi as-tu commencé à faire de la musique et notamment de la techno ?

Depuis ma première écoute de YMO, j’ai commencé à écouter toutes sortes de musique électronique des quatre coins du monde pendant mon adolescence. J’ai ensuite découvert la house music de Chicago à la fin des années 80, la techno de Detroit et quand j’ai écouté ça, je me suis aussi dit que c’était quelque chose de différent. J’avais enfin trouvé la musique que je voulais faire. J’ai donc décidé de créer ma propre musique à l’aide d’équipement de seconde main, d’occasion quand j’avais 18 ans.

LOFI | Quels sont les artistes qui t’inspirent ?

Quand j’ai commencé la dance music, l’électro, Derrick May était ma principale influence et il le reste encore aujourd’hui. Il m’a beaucoup influencé dans mon propre style.

LOFI | Quelle est ta propre vision de la techno et comment décrirais-tu ton style musical ?

La techno est un peu plus challenging que les autres styles d’électro. La techno est assez vague et je ne veux pas catégoriser mon style. Je produis de la techno assez franche que les différents DJ peuvent jouer mais aussi de la techno plus expérimentale. Je ne veux pas me réduire à une seule catégorie.

LOFI | Quand et où fut ton premier dj set ?

C’était quand j’étais encore étudiant. J’étais un des organisateurs à un événement musical au festival de l’Université. J’ai alors eu l’occasion de me produire à ce moment-là. J’ai créé moi-même une opportunité de jouer.

LOFI | Comment c’était d’évoluer dans la techno japonaise en parallèle de la techno européenne ?

Au Japon, la scène électronique est arrivée seulement quelques années après la scène européenne. Le Japon fut le premier pays asiatique à avoir une vraie scène électro. Au milieu des années 90, le Japon développa sa propre scène de musique house et deep house influencée par la deep house venue de New York. La techno a eu le plus grand impact au Japon. Quand la techno est sortie, tout le monde voulait en écouter.

LOFI | Quand as-tu réalisé que ta musique était en train de devenir plus internationale et comment l’as-tu ressenti ?

Quand j’étais étudiant, je n’étais qu’un DJ amateur et je commençais juste à faire de la musique et à produire. Un jour, j’ai réalisé que ce que je faisais n’était pas si mal comparé aux autres musiques qu’on pouvait entendre. J’ai alors décidé de contacter quelques labels en envoyant des cassettes. Le label belge R&S m’a ensuite contacté car il était très curieux et voulait en entendre plus. Six mois plus tard, il m’a envoyé un contrat et un album fut produit. C’était vraiment rapide, simple et très direct. Ça s’est passé en 92 et en 93, R&S publiait mon premier album. Le premier album a ensuite suscité l’attention de l’Europe et j’ai pu faire des performances live. Je suis devenu international assez rapidement et j’ai eu énormément de chance.

Ken Ishii
Vincent Zobler

LOFI | De tes premiers pas dans la musique à ce que tu fais aujourd’hui, peux-tu dire que ton style a évolué ?

Au départ, j’étais juste un amateur, je n’avais pas de règles et c’était intéressant. Je suis ensuite parti en tournée, j’ai joué dans des clubs et dans des festivals. J’ai découvert ma propre façon de faire de la musique et de la partager. A l’époque, je ne me concentrais pas sur ceux qui écoutaient ma musique, je faisais ce que je voulais. Maintenant, je comprends mieux comment les gens réagissent à la musique. J’ai donc réfléchi à comment équilibrer ma musique entre ce que j’aime et ce que les gens aiment. Au début, c’était 100 % moi, mais aujourd’hui, je prends en compte ce qu’aiment les gens. Mais cela reste toujours de la techno. Je ne m’ennuie jamais. C’est quelque chose que j’adore et que je considère comme un gros hobby. Ce n’est pas un job.

LOFI |Pourquoi as-tu créé ton propre label 70Drums ?

Sortir un album sur le label de quelqu’un d’autre prend en compte la philosophie de ce label. Certains labels voulaient des choses assez classiques et je n’allais pas dans ce sens donc j’ai décidé de créer mon propre label. Ma relation avec R&S était au départ bonne mais quelques années plus tard, ils m’ont demandé de faire une musique qui se vendrait plus. Je ne voulais pas faire ça donc j’ai commencé à produire une musique qui me ressemble à 100 % sur mon label.

LOFI | Qu’est-ce que ça fait d’avoir produit pour les Jeux Olympiques de 1998 ?

C’était assez marrant. J’avais 28 ans et je produisais encore dans ma chambre. Le track a été produit avec du petit équipement et c’est cela qui est marrant. C’est une musique faite main. A l’époque, quand j’avais la vingtaine, c’était dur de suivre la scène électronique, je n’étais qu’un amateur. Quand les gens ont commencé à faire des requêtes, j’étais assez occupé et je n’avais pas le temps de penser à ce que ça représentait, j’étais toujours dans le rush.

LOFI | Le track Extra est l’un de tes plus grands succès. Peux-tu nous parler du clip et ce qu’il représente ?

La première fois que j’ai joué ce titre, c’était en Belgique, pour le showcase de R&S. Je l’ai joué en live spécialement pour le show et tout le monde m’a demandé ce que c’était et on me disait que ce serait un grand hit. Le label a donc décidé d’investir dans ce track, un track que j’ai produit chez moi. Un des directeurs chez R&S connaissait quelqu’un qui créait des anime et qui aimait la techno : il s’agissait de Morimoto. Morimoto voulait faire quelque chose de différent et rien d’enfantin. Quand je suis allé dans son studio, j’ai vu une large collection de musique électronique et je lui ai donc fait immédiatement confiance. On avait un bon budget et du temps donc il a pu créer quelque chose de spécial pour moi.

LOFI | Le clip d’Extra reste assez compliqué à comprendre. Qu’en penses-tu ?

Le clip reste un mystère pour moi car je lui ai laissé carte blanche. C’est un peu un techno hippie, son style a quelque chose de différent. Je ne comprends toujours pas tout du clip mais il a été grandement influencé par le film Blade Runner, le film original. Le clip a un thème assez similaire. C’est juste un jeune homme qui essaye d’échapper à ce monde corrompu.

LOFI | Tu as réalisé le projet Ken Ishii Presents Metropolitan Harmony Formulas qui combine différents artistes. Comment l’idée t’est-elle venue ?

Ça a été produit pour un centre commercial. Il y a un but à cela. Je voulais que la musique soit plus diverse, toujours de la dance music et de la techno mais une musique qui corresponde aux gens « normaux ». La musique produite est plus accessible et j’ai pensé que pour créer une musique plus accessible il serait intéressant de travailler avec des musiciens qui ne font pas de la techno.

LOFI | Peux-tu nous parler du track Malfunction Manipulation sorti le 31 janvier sur Different is Different Records ?

C’est un style de techno très direct. La techno peut être faite d’erreurs et de mauvais fonctionnements. Il y a beaucoup de non-musiciens, comme moi qui produisait dans ma chambre à l’époque, qui font de la techno. Des erreurs peuvent arriver et ça crée parfois de bons effets. Si tu peux manipuler ces erreurs, alors tu deviens un roi de la musique. C’est l’histoire derrière ce track.

LOFI | Qu’est-ce qu’on peut attendre de toi cette année ?

Je vais faire quelques collaborations et j’ai d’ailleurs commencé à discuter avec Jeff Mills. Je le respecte énormément et nous sommes amis donc il est fort probable qu’on travaille ensemble prochainement. Il y aura aussi une collaboration avec Rolando qui est originaire de Detroit. On est a peu près de la même génération et on a bien accroché pour faire une collaboration. Il y aura d’autres artistes aussi et je suis ouvert et prêt à produire un album.

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