La houle continue de se lever dans le Grand Ouest avec la fameuse messe bretonne Astropolis du 6 au 8 juillet 2018. Retour au bout du monde, à la pointe finistérienne de Brest, pour une rencontre avec l’un des fondateurs du festival et la graphiste de cette édition.
Manoir de Keroual, la Spring, Manu Le Malin, ces termes vous évoquent certainement un ouragan de fêtes électroniques de toute beauté. En effet, cette année se déroulera la 24e session de cet évènement majeur teinté d’une certaine expérience acquise et d’un ancrage fort dans le paysage culturel et historique de la Bretagne : Astropolis. Pour l’occasion, la légende perdurera car le festival compte bien continuer d’investir le territoire brestois avec un format complet alliant open-air dans le Jardin de l’Académie de Marine, Astroboum et indoor classique avec des immanquables comme le club La Suite et la salle de concert La Carène. Toujours fervent amateur de l’atypique, l’évènement prévoit, qui plus est, de faire vivre ses espaces les plus atypiques comme la Forêt et le Manoir Keroual. Reconnu pour ses scènes impressionnantes et sa programmation avant-garde, faisant la part belle aussi bien aux jeunes artistes et collectifs du Grand Ouest, qu’aux artistes légendaires du mouvement (Underground Resistance, Aux 88, Ricardo Villalobos, Richie Hawtins, Ellen Alien, etc.) Astropolis annonce une nouvelle fois une édition inédite.

Et pour célébrer cela, nous en avons profité pour échanger avec la graphiste Nathalie Le Bihan, qui est en charge de l’identité visuelle du festival cette année, et Gildas, l’un des fondateurs initiaux de l’évènement.
LOFI | Bonjour Nathalie, enchantée. Tu es graphiste pour Astropolis, mais ce n’est pas tout. Peux-tu nous présenter tes autres casquettes, ton parcours ?
Nathalie : hello ! Oui j’ai eu la chance de travailler cette année pour le visuel d’Astropolis #24. Je suis graphiste indépendante depuis 10 ans, je travaille plus particulièrement pour les salles de spectacles et musiques actuelles notamment La Carène à Brest. En 2014 j’ai co-fondé Kuuutch, un lieu de promotion culturelle et créative, avec mon ami Julien Masson.
Cette année, je me suis lancée dans une nouvelle aventure en créant les Éditions Autonomes, maison d’édition indépendante et libre régie par ses propres codes. Elle est dédiée à l’impression sur papier (print) et s’autorise une liberté totale de penser et de réaliser des séries imprimées en édition limitée — livres, estampes, essais, fanzines, artefacts — consacrées à l’art, à la photographie, aux écrits et aux productions d’artistes et de designers.
LOFI | Comment as-tu pensé l’édition estivale d’Astropolis cette année ? En 2017 il y avait un appel vers le côté enchanteur et festif de la forêt de Keroual. Aujourd’hui on retourne à l’air marin du territoire.
Nathalie : j’ai travaillé en étroite collaboration avec l’équipe d’Astro. Cette année nous avons décidé de communiquer sur le réel, en reprenant les valeurs iconiques de Keroual, plus terre que mer d’ailleurs. On y retrouve des anecdotes, des scénettes et des histoires vécues qui font et ont fait le festival. De prime abord, l’affiche dégage un joyeux bordel, donc l’ambiance générale qui règne au bois de Kéroual lors d’Astro l’été, mais en la scrutant, on y retrouve des histoires drôles, des gros gros dossiers sortis des placards, des private jokes ou des figures emblématiques de Brest. Pour couronner le tout, Gildas, le fondateur d’Astropolis, nous a offert quelques mots à propos du chemin parcouru et du plaisir unique vécu chaque année à organiser le festival.
LOFI | 24e édition, cela signifie que cela fait déjà presque un quart de siècle vécu avec et pour Astropolis, quelles impressions à nous donner ?
Gilda, fondateur d’Astropolis : je n’ai pas vu le temps passer. La musique est une vraie passion quand je repense aux années 1992-1993 et aux premiers électrochocs. A l’époque avec les autres organisateurs on n’imaginait pas qu’on en ferait des professions. Nos débuts se sont faits par des affinités musicales tournées vers le pop rock, puis on a formé un collectif, comme le parcours de beaucoup. Puis il y a eu l’effet boule de neige. Passant de fêtes « clandestines » à une réelle institutionnalisation de nos événements. Il est certain qu’instaurer cet état d’esprit de la fête et l’envie de partager la musique électronique sur le territoire n’a pas été facile. Mais le bras de fer a été gagné.
Cette passion et ces engagements forts ont évolué vers une volonté de militer pour les valeurs tournées autour de cette vraie culture de la musique électronique : la fête libre pour tous qu’importe les origines, le développement d’un brassage culturel, mettre en valeur divers genres de la musique électronique et ne pas se cantonner qu’aux principaux mouvements. Mais aussi au travers de ces belles années, c’est un réel réseau qui s’est construit. Nous étions bien peu nombreux à l’origine et désormais nous sommes de multiples acteurs aux profils et ressources différentes et aux compétences qui s’associent.

Faire reconnaître la musique électronique n’a pas été une tâche aisée. L’équipe d’Astropolis venait de mondes différents, on a toujours tout appris sur le tas. On s’est professionnalisé pour acquérir de la crédibilité légitime auprès des élus, d’instituts importants comme la SACEM, l’ADAMI avec qui on collabore aujourd’hui. Car Astropolis n’est pas seulement un festival pour faire la fête, nous tenons à agir concrètement dans le milieu, dans l’accompagnement d’artistes, collectifs, dans le booking. Tout est venu rapidement car notre détermination n’en a pas démordu à un seul instant.
Et voilà, à cette heure j’ai 45 ans, et ce n’est pas un hasard si j’en suis toujours là. On ne peut pas autant travailler pour quelque chose qu’on n’aime pas. Il est évident que la passion nous fait clairement vivre. Astropolis c’est une aventure qui a engendré une belle famille, des aventures humaines qui n’en finissent pas, avec des artistes que nous rencontrons et avec qui on s’entend majoritairement bien. C’est un regroupement d’expériences et d’intérêts forts en commun.
LOFI | On peut par conséquent affirmer que le festival présente une certaine maturité. Il est difficile de ne pas évoquer l’événement auprès des bretons ou tout autre amateur d’événements de musique électronique. Le format a bien grandi et changé, mais votre identité reste la même. D’où provient ce terme « Astropolis » ?
Gildas : le nom a été source de beaucoup de brainstorming. Il se traduit par « La Cité des Etoiles ». On a voulu lors de la première édition illustrer « Astropolis » avec la présentation de trois scènes aux styles différents. L’objectif était de faire briller la musique électronique sous trois aspects distincts (à l’époque : Gabber, chill & techno). On s’est inspiré d’une grande rave qui s’était déroulée à Londres : la « Tribal Gathering ». On voyageait beaucoup en quête de découvertes musicales, artistiques, le but était d’enrichir nos expériences culturelles et humaines. Nous avons toujours souhaité exporter en France ce concept de gros plateaux musicaux diversifiés dans un seul événement. L’Angleterre nous a toujours ébranlé de par leur manière folle de faire la fête.
Autant être clair : nous ça nous barbe s’il n’y a pas de diversité. On ne veut pas entendre et danser sur la même chose, dans la même ambiance. On apprécie partager des goûts différents, rencontrer des gens différents.
Au niveau du format, on avait déjà tenté de faire Astropolis uniquement focalisé sur le Manoir de Keroual, avec plus de 20 000 personnes qui y sont venues. C’était juste horrible et pour rien au monde on ré-organiserait une telle soirée. Actuellement nous avons pour ambition d’accroître le nombre d’événements dédiés à la découverte de la musique électronique pour divers publics. Ce qui explique nos événements gratuits, l’Astroboum pour les plus petits. L’hiver dernier le défi était de mener un rendez-vous électro pour des handicapés, dont l’un des DJs (DJ Maxime) qui était handicapé et tous les participants ont adoré. Ce genre d’énergie et de résultat nous motive à continuer de nous démarquer dans ce sens.
Plus artistiquement, on tient à développer aussi la scène mécanique hardcore. Ce n’est pas un genre qu’on entend généralement et il est intéressant de l’exploiter pour captiver et attirer l’attention des plus curieux, ou tout simplement de fédérer les amateurs du genre. Habituellement, on n’écoute pas de la trance facilement non plus dans un bar ou dans son bain. (habituellement). Ce qui est palpitant c’est la capacité à la musique électro de se mélanger, de fusionner avec tout.

LOFI | L’an dernier, on avait affaire à une identité visuelle du festival très riche en couleurs, figurant la magie de la forêt et le côté très festif d’Astropolis. Que désirez-vous exprimer cette année au travers de ces nouvelles affiches ?
Gildas : il est nécessaire de rappeler qu’Astropolis se déroule à Brest, à la pointe du Finistère et au bout du monde. Une localisation pas très glamour en été. Pour mettre en valeur nos choix de lieux, de scènes, nous nous sommes basés sur des photographies de nos précédentes éditions. Nous avons sélectionné des paysages, décors et ambiances originales en les détournant un peu graphiquement. Un clin d’œil à des situations réelles sympas qui nous ont touché. D’autre part, nous avons vraiment eu cette volonté de mettre en lumière des lieux de représentations où le festival est né, et donc remettre en avant le site.
Tout ne tourne pas QUE sur la programmation et les artistes. À l’inverse d’autres types de communication, on tient à s’éloigner d’un Star-system qui tend à se répandre partout. Comme on le rappelle dans plusieurs de nos supports et tel que le dit si bien Guillaume Apolinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Et donc les vrais feux et valeurs que la musique électronique sait représenter.

LOFI | Pour terminer, si l’on pouvait revenir en arrière et revivre des événements marquants de l’épopée Astropolis durant ces 24 dernières années ?
Gildas : une question bien compliquée. Il y aurait trop de moments intenses à partager.
Mais je vais quand même y répondre : en 2002 nous avons vécu de sacrés émotions. Avec une interdiction levée 3 semaines avant le jour de l’application du festival. La raison communiquée était la crainte générée suite à un grave accident arrivé suite à une soirée étudiante (5 morts). Toutefois elle n’avait rien à voir avec notre événement, mais cela a suffit pour nous interdire de produire Astropolis.
Nous avons pris la grande décision de partir au Tribunal Administratif pour nous défendre contre le maire de l’époque. Bien de sacrifices ont été faits, sous des rudes pressions. Mais ce fut au contraire un grand soulèvement de solidarité qui s’est créé, entre le public, nous organisateurs, ainsi que les partenaires, les artistes et bien d’autres amoureux de musique électroniques, du coin et même au-delà. La scène free party étant sujette à pas mal d’amalgames et très mal acceptée à cette période (et l’est un peu moins à nos jours, mais toujours aussi).
Au final nous avons gagné ce combat, et nous avons surtout pu remettre à niveau tout le festival en seulement 10 jours. Nous avons bricolé de partout, car des devis n’avaient pas forcément été validés puisqu’il y avait l’incertitude de l’accomplissement de l’événement et des délais étaient dépassés. Toutefois ce fut un vrai élan de la part des acteurs locaux du milieu et autres amis, beaucoup d’artistes ont fait des gestes sur leurs cachets comprenant la situation et ont maintenu leur présence à Astropolis. Le closing notamment de Laurent Garnier avait été prodigieux, avec un vrai engouement flamboyant de tout le monde, fier de tenir cette édition. Une énergie puissante qui ne nous quittera jamais.
La fête dépend aussi de vous
Nous aimons le dire et redire pour montrer cette importance du public participant débordant d’enthousiasme et de support sans qui nous n’aurions pas la motivation de continuer ainsi.
LOFI | Merci pour ce partage et cette témérité qui font d’Astropolis encore, un festival de qualité.