C’est plus de 80 artistes qui ont figuré aux Trans Musicales de Rennes début décembre 2019. Une panoplie riche et diversifiée de talents du monde entier, sélectionnée par les programmateurs et étudié avec minutie par le Responsable des ressources sur l’artistique du festival. Thomas Lagarrigue nous parle de son rôle et l’enthousiasme qui l’anime chaque année à participer à organiser le festival.
Evénement culturel incontournable et certainement le plus apprécié de la ville de Rennes :
Les Trans Musicales reste « nouveau » depuis 1979
Bien plus qu’un festival de musiques, ce sont des conférences, expositions, ateliers et concerts de toute part qui nous font revivre et penser les musiques de manière différente.
[…] Nous explorons la musique, curieux de tout ce qu’elle peut nous apporter, avec cette conviction que l’inconnu vaut toujours la peine d’être vécu et que le futur se décide au présent.
Trans Musicales 2019
Derrière les programmateurs (Jean-Louis Brossard et Mathieu Gervais), Thomas Lagarrigue, Responsable des ressources sur l’artistique recherche et analyse toutes les informations importantes reliées aux artistes sélectionnés pour la programmation de chaque édition. Un rôle nécessaire avec un travail de longue haleine et passionnant qui nous est expliqué dans cet entretien, durant notre rencontre avec Thomas aux Trans Musicales.

LOFI | Bonjour et merci pour cette entrevue. Parlez-nous donc de votre poste ?
Thomas : bonjour également. Je suis responsable des ressources sur l’artistique des Trans Musicales. Cela signifie que lorsque le programmateur confirme la programmation d’un groupe, j’en fais toute la recherche artistique. Sur ses musiques, je lis ce qui a déjà été dit dessus. J’essaie de trouver les éléments de langage qui nous serons les plus utiles pour ensuite décrire la musique de l’artiste.
J’ai une fonction qui est plus orientée sur l’Information. Sur le décryptage, l’explication, la transmission de connaissances. Plus que sur la promotion en elle-même. Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien, pas bien. Mon rôle est plus de comprendre, d’expliquer, d’entendre les références. Quelles peuvent être leurs influences, leurs styles musicaux. J’analyse tout cela dans des tableaux et des textes. Puis je m’occupe de cette transmission à tout le monde. D’abord à Jean-Louis Brossard avec qui j’échange des informations pour nos présentations aux médias qui ont lieu début octobre. Puis à l’équipe des Trans plus largement (relations médias, communication, action culturelle…). Et enfin au public, à travers des textes écrits mais aussi à l’oral via des conférences et des podcasts.
C’est autant un travail sur l’écoute de la musique que sur les mots pour en parler, car c’est parfois compliqué de parler de musique.
Dès le mois de mars/avril, si des noms sont confirmés les recherches démarrent. Bien que j’ai d’autres missions aux Trans en dehors du festival, dès juillet ça me prend tout mon temps.

LOFI | Si l’on revient aux origines de votre rôle au sein des Trans Musicales, comment se sont passés vos débuts. Et quelle comparaison par rapport à cette 41e édition ? Quel vécu ?
Quel état des lieux ?
Je suis arrivé à Rennes en tant qu’étudiant en 1996. J’ai choisi cette ville parce qu’il y avait une scène musicale très active et dynamisée par les Trans. Mais aussi par d’autres associations plus petites. J’ai commencé sur le festival comme bénévole quand j’étais étudiant, puis j’ai créé un fanzine avec des amis, puis un label et une société d’édition musicale de façon professionnelle. J’ai aussi écrit dans La Griffe, le principal journal culturel du Grand Ouest au début des années 2000. Au moment des Trans, j’écrivais un gros article sur les grandes tendances de l’édition à venir en termes de styles musicaux et cette approche a plu à plusieurs personnes du festival qui m’ont proposé de collaborer plus régulièrement.
Quand les Trans ont déménagé au Parc Expo, beaucoup de choses ont changé : plus de soirées à thème comme dans les années 1990 (rock, électronique, world…). Tous les styles pouvaient encore plus se mélanger, mais pour aider les publics à ne pas se perdre trop dans la programmation, on m’a demandé de réfléchir à des nouvelles manières de la présenter. C’est à ce moment-là qu’on a développé le modèle de cartographie que l’on retrouve aujourd’hui sur Trans Music Maps.

Si le festival existe depuis si longtemps c’est par l’envie de se renouveler tout le temps.
Jean-Louis Brossard et Béatrice Macé

LOFI | Les Trans Musicales invitent des artistes internationaux aux multiples cultures. Ainsi il faut les traiter selon leurs différents profils, langages, expressions musicales etc d’autant plus à distance. Comment se traduit votre travail là-dessus ?
Mon travail repose notamment sur l’écoute approfondie de la musique, et indépendamment du discours promotionnel et officiel autour des artistes, ce que les journalistes et autres professionnels de la musique n’ont pas toujours le temps de faire. Avant même d’être utile au public, le résultat de mon travail sert aux professionnels.
Quand je découvre un artiste programmé aux Trans, j’écoute d’abord sa musique avant de lire quoi que ce soit à son sujet. Je pose ensuite des mots, styles, influences etc. Et il arrive que cela ne corresponde pas avec le texte du label etc. Après ne se pose pas la question de qui a raison ou a tort. Parfois je reprends le texte officiel pour m’inspirer, des fois je suis contradictoire. Des fois je pense qu’il y a simplement d’autres axes et discours pour parler d’un artiste. J’aime profiter du fait que les artistes sont souvent en début de carrière professionnelle pour reprendre les choses à zéro et donner du sens au discours sur leur musique. D’ailleurs, ils reprennent ensuite souvent notre texte écrit pour les Trans dans leur propre bio officielle.
Cartographier les musiques des Trans Musicales
Une fois que j’ai étudié chaque artiste individuellement. L’objectif aussi c’est de prendre une « photo globale » des Trans. Raconter ce que sont les Trans chaque année.
Et c’est aussi à ça que sert la cartographie que je réalise chaque année suite à la demande de la Directrice Générale Béatrice Macé en 2005. Avec la volonté de trouver un autre moyen de parler de la programmation des Trans, une façon vraiment alternative de travailler la communication sur les artistes.
Cette cartographie montre 3 ellipses de couleurs différentes qui représentent des regroupements de familles musicales. L’une englobe les différentes formes de rock, une autre le jazz et les musiques afro-américaines qui en découlent, et la troisième les musiques électroniques. En y plaçant les artistes de l’édition soit dans l’une des ellipses soit à l’intersection de plusieurs ellipses, cela me permet d’obtenir une photographie de l’édition sous l’angle des esthétiques musicales. Et le fait de conserver ce même modèle d’une année sur l’autre me permet ensuite de comparer l’édition avec les précédentes.
Sur le site Trans Music Maps, quand on explore l’histoire des programmations années après années à partir de 1979, on voit que les différentes zones ont progressivement été colonisées, avec des à-coups au moment où ont percé certains courants du rock, du hip hop ou des musiques électroniques. Jusqu’à arriver à un certain équilibre dans la représentation des esthétiques dans les années 2010. Ces évolutions sont à la fois liées aux évolutions musicales et aux des partis-pris très affirmés de la part de Jean-Louis Brossard. C’est aussi ce qui fait la singularité de ce qu’on appelle « le geste de programmation ».

LOFI | Les Trans Musicales ce sont surtout la musique pure, l’appréciation des performances lives… Le public n’assiste pas au festival pour la communication faite sur la programmation mais plus pour la découverte. Des surprises musicales sur le moment.
Le fait que la programmation mêle plein de styles de musique est attrayant.
Les plus jeunes sont à un âge où les goûts se forment. Quand j’en parle avec des groupes d’ado, on constate souvent qu’à leur âge on écoute les musiques de ses amis, frères et sœurs. Et ce qu’on aime, ce sont évidemment souvent des choses qu’on connaît. Logiquement ce qu’on n’aime pas, ce sont des choses qu’on connaît mal, qu’on croit connaître. Parfois il faut se bousculer et faire primer l’expérience, le test. C’est aussi ce que permet un festival comme les Trans.
LOFI : on aime ce qui nous est familier généralement.
En effet, c’est une histoire de confort parfois. On ne souhaite pas mettre les spectateurs dans une mauvaise situation non plus (rires), mais leur donner le moyen de s’émerveiller encore musicalement.
On peut donner goût à de nouvelles choses.
Thomas Lagarrigue

Ça fait plaisir d’entendre une personne dire qu’elle pensait ne pas aimer le rap, mais qu’elle avait finalement apprécié un groupe de ce style.
LOFI | Pour en revenir à la cartographie d’ailleurs, cela change de la navigation d’une programmation classique avec des catégories très fixes et un scroll interminable pour lire les artistes.
Il y a deux façons de l’utiliser. Avec Trans Music Maps, tu peux choisir tes artistes favoris sur chaque édition, puis tu peux superposer ces différentes cartographies. A ce moment-là, si tu te rends compte que la plupart de tes favoris sont dans la même zone, tu as deux alternatives pour l’édition à venir : soit chercher des artistes qui sont dans le même coin donc dans un style proche, soit au contraire sortir de cette zone de confort pour explorer et découvrir des sensations inédites. J’espère que ça permet aux utilisateurs de questionner ses routines musicales.
LOFI : les genres sont en permanence mixés et avec la musique électronique le potentiel de création musical paraît encore plus infini.
La création musicale est infinie oui.

A chaque génération, on entend des gens se plaindre que rien de nouveau n’émerge en musique, mais c’est faux. La musique évolue très progressivement. Chaque artiste créé un petit quelque chose, plus ou moins repris par d’autres, mais il est souvent compliqué de remarquer cela « à l’oeil nu ». Parfois des artistes permettent des évolutions spectaculaires par leur créativité ou leur capacité à influencer plusieurs générations d’artistes (The Beatles, James Brown, Kraftwerk…).
Mais même les artistes très influencés par d’autres produisent à leur façon quelque chose de nouveau. Il faut ensuite percer la singularité de chacun, ce qui est aussi une partie de mon travail.
A titre professionnel, la question d’aimer ou ne pas aimer ne se présente pour moi que quand je suis devant le concert. Pas autrement. Et elle ne s’exprime qu’en ressentis, en émotions plus qu’avec des mots.
Thomas Lagarrigue
En synthèse, les motivations d’un tel poste
Avec une programmation d’artistes peu connus, le festival a besoin d’un travail de fond sur les ressources liées à l’artistique afin de bien informer les médias et les publics. Le projet des Trans étant fortement basé sur l’envie de découvrir et de faire découvrir, mon poste se retrouve baigné dans cette énergie d’exploration et de transmission. En témoignent le lancement en 2009 de conférences appelées « Explorations Trans Musicales » ou la création cette année de podcasts autour de la programmation.

Mon travail est basé sur la matière artistique aux Trans. Une grande chance car c’est un festival riche et très stimulant. Quand Jean-Louis Brossard me confirme des noms de groupes, j’en connais peu. Je me noie dans la masse de données et de sons et j’aide à tracer un chemin pour les gens avec des petites pierres, je fais du tri.
Avec une responsabilité : traiter tous les artistes à égalité, les montrer à tout le monde. J’ai toujours trouvé cela passionnant depuis que j’ai commencé cette démarche en 2005. A la base j’avais des préférences musicales mais depuis, je me suis ouvert à plein d’autres choses. C’est une expérience professionnelle vraiment enrichissante.
Après il faut bien se rendre compte que mon poste est très lié aux spécificités des Trans Musicales, notamment la place centrale de la découverte.
Un grand merci à Mr Lagarrigue pour cet échange plein de ressources, artistiques.
Photo de couverture : Nico.M
Toutes les informations sur le festival, ici.